Un beau cadeau de mariage
Un long chemin sillonne à travers champs dans la campagne de Plourin et me conduit sur les hauteurs d ’Argenton. Au loin, on voit la mer et l’île d’Yock.
Un muret de pierres bordé d’hortensias délimite une vieille demeure de granit au toit d’ardoises, cachée dans un bois. Je suis à Kerenneur. C’est là que se niche un petit joyau breton de l’architecture de la Renaissance.
J’arrive par l’arrière de la bâtisse en longeant une allée ombragée.
Je suis déjà venue à Kerenneur, la première fois c’était il y a 25 ans. A l’arrière du manoir il y avait un pré couvert de camomille. Aujourd’hui les arbres ont bien grandi : chênes, châtaigniers et hêtres occupent l’espace. De là, je peux admirer le renouveau du manoir avec ses tourelles, son toit d’ardoises et ses fenêtres à meneaux agrémentés de vitraux .
J’ouvre une deuxième barrière, Puce la chienne, jappe à ma rencontre. Un subtil mélange de parfums de roses et de buis embaument l’air de fin d’été .
En arrivant dans la cour pavée, je me souviens encore de voir Mr Egret poussant sa brouette remplie de galets et nous expliquant comment on doit les mettre debout pour obtenir un pavage à l’ancienne dans les règles de l’art.
Dans la cour trône le vieux puits flanqué de deux auges qui autrefois abreuvaient les animaux de la ferme.
Je continue la visite extérieure et je monte un escalier en colimaçon qui me mène sur l’ancien chemin de ronde. De là on peut superviser le panorama et voir les voiliers qui naviguent sur la mer. En contrebas un parc arboré parsemé de rochers témoigne de la proximité de la mer. Au temps des seigneurs, de là-haut, on pouvait surveiller l’arrivée des navires anglais, les ennemis, et prévenir les habitants pour préparer la défense. A l’extérieur, le portail monumental est surmonté de machicoulis qui témoignent que le manoir était là pour défendre le territoire.
Autrefois en entrant dans la cour pavée, le passage du seuil ne pouvait se faire que sous le regard malicieux d’une sculpture grotesque sensée éloigner le mauvais sort.
En face du logis, d’anciennes écuries au toit de tuiles abritent du bois de chauffage, des outils , des réserves alimentaires .
La façade du logis est orientée au sud. Elle n’a pas subi de rénovation outrancière comme c’est souvent le cas sur les vieilles maisons devenant résidence secondaire. Ici, les vieilles pierres ont gardé la patine du temps et sont parées de petites touches de lichen jaune orangé.
Les fenêtres à meneaux, à l’étage, sont surmontées d’un fronton en granit orné d’une coquille .
Ce beau manoir breton n’a rien à envier à ses prestigieux cousins du Val de Loire ; il est juste un peu plus modeste . Pour vivre heureux, vivons caché….
La porte d’entrée surmontée d’un blason, donne directement sur la cuisine, le centre de vie de toute famille nombreuse bretonne . Elle est équipée pour vivre comme aujourd’hui, mais elle est meublée d’armoires et de tables anciennes richement sculptées. Au plafond, les poutres énormes sont ornées d’assiettes et bols en faïence de Quimper.
A l’arrière, la salle à manger possède un charnier-saloir et une imposante cheminée pouvant cuire la viande et les potées et aussi le pain et les pâtisseries grâce à des petites niches sur le côté.
La grande salle de réception possède une immense cheminée arborée d’un blason . Elle est richement agrémentée de tableaux, de sculptures et de maquettes de galions .
Je monte l’escalier à vis surmonté d’une voûte, tout en granit. Il dessert les pièces à l’étage.
Dans la salle haute, un lustre de cristal à breloques bleues descend au milieu d’un majestueux plafond en lambris de chêne, arrondi comme la coque d’un bateau renversé. Un grand lit à baldaquin en bois sculpté est flanqué de deux coffres anciens en bois entièrement sculptés eux aussi. Au mur de chaque côté du lit, deux tapisseries anciennes représentent à gauche une gente demoiselle et à droite un preux chevalier.Sur le lit, un couvre lit damassé et brodé.
Au milieu, l’espace est occupé par un imposant bureau en bois massif soutenu par des colonnes de style dorique et par une large et haute chaise en bois garnie de tapisseries anciennes.
Il y a deux bibliothèques, l’une occupée par des vieux livres richement reliés et l’autre par des livres récents en rapport avec l’histoire de France. Une jolie vitrine expose une maison de poupées miniatures .
Au fond à l’opposé du lit, se dresse une cheminée monumentale en granit surmontée des armoiries de la seigneurie. Elle est agrémentée d’un bandeau finement brodé de scènes médiévales sur le thème de l’amour courtois.
Les murs sont ornés de tableaux dont un remarquable portrait réalisé à la plume et signé par la maîtresse de maison dans un style rappelant les flamands.
La pièce est inondée de la lumière provenant des fenêtres garnies de vitraux et équipées de volets intérieurs en bois .
De cette pièce très raffinée, se dégagent une ambiance sereine et une esthétique recherchée . C’est comme un endroit suspendu dans le temps passé . Chaque chose est à sa place, et mérite qu’on s’y attarde, qu’on la regarde de plus près. Pas d’excès, pas de surcharge. Tout est dans le détail. Chaque objet semble avoir une histoire à raconter, qu’on aimerait bien connaître.
La magnifique voûte en berceau de cette salle haute a été construite vers 1540 à l’occasion du mariage de Marie de Kergadiou et François de Kersauson. Quel splendide cadeau de mariage !
Aujourd’hui à Kerenneur, c’est le branle-bas de combat pour préparer la journée du patrimoine du 16 septembre, il y a du monde, des bonnes volontés qui se retroussent les manches et se démènent pour la sauvegarde du riche patrimoine de Plourin grâce à l’association « Tenzoriou Ploerin ».
Les femmes sont dans la cuisine en train de préparer la loterie et la brocante. Ca discute passionnément, il y a beaucoup d’objets à trier, à étiqueter …. Il y en aura pour tout le monde et pour toutes les bourses . Il y a des objets rares , insolites, des œuvres d’art, des services de table, des services à café, des ménagères , des bibelots, des livres, qui attendent de vivre une autre vie…
Je ne peux pas résister à l’acquisition d’un vieux fer à repasser, il me servira de presse pour mes travaux de marouflage .
L’argent récolté servira à restaurer le patrimoine de Plourin, particulièrement la chapelle Saint Roch … Monsieur Stéphane Bern, connaissez vous Plourin petite commune du Nord Finistère et son modeste patrimoine ? : Il y a 14 manoirs, des chapelles , des fontaines, des pigeonniers , des moulins, des colonnes de justice, des menhirs ….
Dans le verger, les hommes sont en train de monter une tente sous le regard de Zoé, la chèvre, qui se demande si on lui prépare un nouveau logis . Mais non ce n’est pas pour elle, elle servira d’abri pour la brocante .
C’est maintenant l’heure du « quatre heures », une petite pause conviviale autour d’un verre et de gâteaux. On discute, on échange des idées , chacun donne son avis…. On reprend de l’énergie pour finir la journée . Pour dimanche, tout doit être prêt pour accueillir les visiteurs. On n’en doute pas , ils seront nombreux.
Quel beau cadeau !
Merci Monsieur et Madame Egret de nous le faire partager .
Ce texte a été écrit lors de la préparation de la journée du patrimoine, le 14 septembre 2018, par Marie-Louise Marc, qui participe régulièrement à l’atelier d’écriture de Muriel R.